Le tantra

Le tantra

« Tout ce qui est ici est ailleurs, ce qui n’est pas ici n’est nulle part »

Vishvasâra Tantra

Pour un esprit occidental cartésien et raisonné, le Tantra est une énigme.

Pour un individu attaché aux règles comportementales et conjugales de la morale judéo-chrétienne le Tantra est une hérésie.

Le Tantra est né il y a au moins deux mille ans. Son originalité repose sur le fait qu’il s’agit d’une tradition transmise principalement par voie orale. Peu de textes fondateurs, peu de références anciennes fiables et certaines.

Ce que l’on sait c’est que son origine est Chinoise, Tibétaine et Indienne et qu’il est une technique d’éveil s’appuyant sur des rites, des exercices, des coutumes précises ayant le corps comme vecteur principal de réalisation.

Cette voie spirituelle a l’originalité d’intégrer dans sa philosophie la dimension sexuelle qui, réveillée, purifiée mène tout droit à « La Porte du Ciel » !

Ici, il ne s’agit pas de se détourner du corps et de ses humeurs spécifiques mais, de vénérer le corps, de le sublimer, d’en faire le temple où doit se dérouler la célébration de la vie !

Lorsque le Tantra est arrivé en Occident, après avoir connu une période ésotérique et secrète, le réservant aux seuls initiés, il a attiré nombre de nos contemporains. Il est vrai que ce fut dans une période où l’Occident cherchait à remettre le corps au centre de ses interrogations et de ses préoccupations existentielles et psychothérapeutiques.

Mais bien vite le malentendu s’est installé. Il fut lié à l’impossibilité de calquer une grille d’analyse occidentale sur une pratique autant empreinte d’une vision du monde orientale. Les détracteurs du Tantra parlèrent très vite de partouzes, de déni du couple, de mysticisme échevelé et ridicule, de pratiques sectaires.

Il est vrai que devant la demande pressante de faire des stages de Tantra de la part d’un public de plus en plus nombreux (effet de mode oblige !) il était facile de s’instituer maître de Tantra après avoir lu un ou deux livres improbables et quelques articles dans des revues de seconde zone !

Il faut bien le dire, le malentendu persiste.

Car le Tantra est une philosophie qui nécessite que son adepte ait déjà fait un chemin dans la connaissance de lui-même. Le Tantra n’est pas un chemin vers la découverte il est la découverte ce qui est une nuance de taille !

L’étymologie du mot Tantra est multiple, complexe, foisonnante. Selon le contexte il peut signifier navette, trame d’un tissu, succession, continuité, processus, organisation d’une cérémonie, théorie, doctrine.

Mais Tantra venant de tantri (expliquer, exposer) le mot peut donc désigner un traité parlant d’un sujet déterminé ce qui fait que Tantra peut figurer dans le titre d’un livre sans rapport avec le tantrisme !

L’origine étymologique qui me paraît la plus pertinente est celle qui donne au mot Tantra le sens de « métier à tisser ». Il y a là l’idée que l’énergie « débloquée » par la pratique tantrique est liée à un vaste Tout où les choses sont en imbrication permanente, où la trame de l’univers est faite d’enchevêtrement et de correspondances particulièrement en interrelations.

Le Tantra, dans ses applications pratiques, dans ses rites, est un instrument, un outil permettant l’expansion du champ de la conscience pour retrouver ce maillage primordial où l’esprit individuel est noyé dans l’esprit universel.

Il y a l’idée de retrouvailles, de mariage avec un état primordial de l’être où le temps et l’espace fonctionnent selon des critères non liés à la causalité.

Synchronicité, prémonitions, télépathie… tout les registres du soi-disant paranormal sont activés pour offrir une vision ouverte et cosmique de l’être humain.

Le Tantra n’est pas une religion au sens propre du terme. Il n’y a pas de dogme officiel, pas de représentants du Tantra, pas de ministre du culte qui apporterait la Parole Unificatrice. Le Tantra est a-moral, a-politique, a-religieux.

Le Tantra est une rencontre. Rencontre entre soi et soi mais, aussi, rencontre entre plusieurs principes fondamentaux qui, dans cette rencontre, s’activent et se potentialisent.

Il s’agit du principe féminin, du masculin et du principe d’énergie.

Le principe féminin est désigné par le yoni (expression symbolique sexe féminin), le principe masculin par le lingam (expression symbolique du pénis) et l’énergie est la shakti.

Le but du Tantra, si l’on peut s’exprimer ainsi, est de réunir le plus harmonieusement possible le yoni et le lingam afin que la shakti circule et trouve son axe majeure dans le corps.

Mais là où le Tantra nous intéresse c’est dans la vision qu’il propose de la femme.

La femme est au centre du Tantra. Elle en est l’alpha et l’oméga. Il y a dans le Tantra une vénération voire un culte de la féminité (André Van Lysebeth parle du Tantra comme le culte de la Féminité[1] ». Ce culte n’est pas sans rappeler les cultes ancestraux voués à la Déesse-Mère, à la Femme-Fécondité, à la Femme comme « source de toutes choses ».

Il est dit dans le Kaulâvali-Tantra : « Il faut se prosterner devant toute femme, qu’elle soit jeune fille dans sa splendeur juvénile ou qu’elle soit vieille, qu’elle soit belle ou laide, bonne ou méchante. Il ne faut jamais l’abuser, ni en médire, ni lui faire du mal, ne jamais la frapper. De tels actes rendent tout accomplissement impossible. »

Et aussi ceci dans le Shaktisangama-Tantra : « La femme crée l’univers elle est le corps même de cet univers. La Femme est le support des trois mondes, elle est l’essence de notre corps. Il n’existe pas d’autre bonheur que celui procuré par la Femme. Il n’est d’autre voie que celle que la Femme peut nous ouvrir. Il n’y a jamais eu et il n’y aura jamais, ni hier, ni maintenant, ni demain, d’autre fortune que la Femme, ni de royaume, ni de pèlerinage, ni de yoga, ni de prière, ni de formule magique, ni d’ascèse, ni de plénitude autre que celle prodiguée par la Femme ».

Cela ne veut pas dire que, dans le Tantra, la femme n’a pas à faire de travail sur elle-même. Elle ne fait pas l’économie de sa propre connaissance. Mais, elle a en elle-même, enfouie naturellement, une nature féconde et réalisée car elle incarne au-delà et à travers le yoni, la shakti. Il s’agit, selon le Tantra d’atteindre cette essence, cette quintessence, de trouver la Femme en soi afin de l’offrir à l’homme considéré comme plus vil, plus proche de la matière dans son essence même.

Ainsi toute femme est à vénérer car toute femme représente La Femme, la Shakti, l’énergie de vie, le flux, le flot.

Nous pouvons dire que le Tantra est une philosophie de la Femme. Et à travers cette philosophie une recherche de l’énergie primordiale, d’où peut émerger l’univers et l’être manifestés.

Ainsi, dans le Tantra la femme devient prêtresse, magicienne, initiatrice, gardienne du mystère et incarnation même de ce mystère. C’est en allant vers elle, sans désir de conquête que l’homme peut se trouver. Mais que trouve t-il ? La shakti, c’est à dire sa propre part féminine qui s’active ainsi et se déploie.

Ces notions très anciennes ne sont pas sans nous rappeler les approches psychologiques jungiennes dans le principe d’individuation.

Avec l’idée, somme toute très tantrique, que le Soi (la réalisation) ne peut s’atteindre (pour l’homme comme pour la femme), au-delà de l’ombre (l’inconscient) qu’en passant par la découverte et l’acceptation de la fonction anima (fonction féminine) de la psyché.

Le Tantra ne place pas la femme à l’endroit de l’objet. Elle n’est pas non plus objet de désir. Elle est le lieu et la formule !

Le Tantra nous apprend donc que l’Homme doit passer par la Femme pour trouver l’Etre. Ou mieux encore, que le principe masculin doit se féminiser pour accepter sa transformation dans l’Energie retrouvée.

Cette vision des choses met à mal, il faut le reconnaître, le système patriarcal avec ce qu’il impose de vision du monde. Ici plus de machisme, d’obligations typiquement féminines, d’inégalités sociales.

Ici, au cœur du Tantra, ce qui est en jeu est l’acceptation même de l’idée de La Femme. Quand Lacan dit que La Femme n’existe pas cela peut vouloir dire qu’elle n’est pas encore là et que son avènement est à chercher tout le temps, à chaque instant. Femme en soi qu’il est nécessaire de mettre en gestation au centre des pensées et des actes.

En fait, le Tantra appelle à devenir Femme au-delà du féminin. Il apprend aussi à devenir féminin au-delà de la Femme. C’est toute sa richesse et sa force de création !

La « féminisation » du rapport au monde proposée par le Tantra n’implique pas que l’homme y perde sa virilité. Le Tantra propose à l’homme d’affirmer sa virilité dans un « espace féminin » développé et intégré en lui, ce qui est différent.

Le Tantra, en fait, propose un changement des valeurs, un regard sur le monde empreint d’émotion, de grâce et de lenteur. Car, et c’est en cela aussi qu’il est féminin, le Tantra est le lieu du ralentissement. Ralentissement des regards, des souffles, attention porté à l’autre, entrée dans un espace-temps où les registres de performance (entraînant une certaine « vitesse d’exécution ») n’ont plus cours.

Dans le Tantra on ne cherche pas à atteindre, on cherche à ouvrir, à élargir, à mettre en expansion.

Dans les rites tantriques la femme est donc considérée comme l’initiatrice. On peut dire qu’elle a en elle un espace déjà « réalisé », un lieu intime où la connaissance y est inscrite de fait. Ce lieu, l’homme doit y accéder afin de se délivrer et sortir de la matière vile pour accéder à la lumière (comme le passage du plomb à l’or en alchimie).

Pour cela le Tantra préconise des entraînements proches de ceux que l’on rencontre dans toutes approches corporelles orientales.

Nous sommes loin de l’attitude occidentale qui consisterait à penser que le sexe est inné. Dans le Tantra la sexualité se prépare, se réfléchit, se pense car le but n’est pas l’orgasme génital mais l’éveil de la conscience.

Le maïthuna est le nom donné au coït dans le Tantra. Dans cette union des principes différenciés il s’agit d’éveiller certaines parties du corps qui sont des centres d’énergie puissants qui la plupart du temps restent en sommeil.

Ces centres sont appelés çakras (mot sanskrit signifiant roue). Le corps en possède plus de vingt répartis en des endroits précis du corps. Les çakras majeurs sont au nombre de sept.

Le premier çakra est situé au niveau du périnée (mulhadara), le deuxième au pubis (svâdhisthâna), le troisième au plexus solaire (manipûra), le quatrième au plexus cardiaque (anâhata), le cinquième au plexus laryngé (vishuddha), le sixième entre les sourcils (ajnâ) et le septième au sommet de la tête (sahasrâra), inscrit comme une couronne symbolique.

Au bas de notre colonne vertébrale se trouve lové comme un serpent, la Kundalini, réserve de puissance et d’énergie qu’il s’agit d’éveiller et de faire remonter de çakra en çakra jusqu’au sommet de la tête afin d’atteindre l’illumination, la contemplation du sacré. Ce parcours s’effectue durant le maïthuna.

Pour la philosophie tantrique l’érection est le « pilier du Tantra »[2]. L’homme doit apprendre à contrôler celle-ci et l’éjaculation est considérée comme une perte d’énergie.

Les pratiques tantriques se basent sur le contrôle du souffle, l’attention à l’autre, le respect des éléments et de ses concordances avec le corps, la méditation, l’augmentation de l’espace sensoriel, la contemplation.

Ce que les femmes apprennent d’elles-mêmes et de leur sexualité dans le Tantra, outre les éléments mentionnés plus avant, c’est une connaissance de leurs corps avant toute chose.

La pratique du Tantra éveille mais elle instruit aussi sur soi-même. Une femme doit savoir, par exemple, muscler son yoni (pratique appelé Sahajolî) Richard F. Burton dit : « Ce contrôle vaginal est la réponse féminine la plus recherchée. La femme doit fermer et resserrer le yoni jusqu’à ce qu’il enserre le lingam comme une main, l’ouvrant et le fermant selon son bon plaisir, comme la main d’une gopi qui trait la vache. Ceci ne s’acquiert qu’après une longue pratique et spécialement en projetant toute sa volonté dans la partie du corps concernée, de la même manière que les hommes tentent d’affiner leur ouïe »[3]

Mais il s’agit aussi pour la femme d’apprendre à aimer le sexe de l’homme, à contrôler les muscles des fesses, du périnée, à bien connaître le fonctionnement du clitoris…en bref, à s’ouvrir à une connaissance intime et sans fausse pudeur de soi-même.

André Van Lysebeth[4] décrit l’exercice suivant (appelé le mula bandha) : « Assise ou couchée, prenez conscience de la région anale, en respirant calmement. Après une minute environ, quand vous serez bien intériorisée, contractez faiblement d’abord le premier sphincter de l’anus, l’externe. Puis, en serrant un peu plus, la contraction gagnera le second anneau musculaire ; enfin, contractez le releveur de l’anus, attirant ainsi les deux sphincters anaux vers l’intérieur et vers le haut. En procédant lentement et graduellement, on distingue bien ces trois niveaux, même dès le premier essai. Puis, serrez aussi fort que vous pouvez, jusqu’à faire vibrer toute la zone anale. Vous sentirez parfois même un frisson parcourir toute votre colonne vertébrale. Tenez cette contraction maximum, souffle bloqué, pendant six secondes au moins. Puis relâchez la bandha en restant intériorisée dans ces muscles. Suit alors la détente de toute la zone et la perception de la sensation de chaleur qui en résulte. Vous pouvez aussi, facultativement, continuer à respirer pendant la bandha. Répétez le processus à volonté, cinq fois d’affilée étant un minimum.

Grâce à ce mula bandha énergique, vous sentirez que les réactions débordent de l’anus, gagnent le périnée, la vulve, le clitoris, le vagin et même l’utérus. C’est normal puisque les sphincters de l’entrée du vagin et ceux de l’anus forment comme les deux boucles d’un « 8 » : contracter l’une, c’est aussi agir sur l’autre.

Faîtes l’essai : contractez l’une des deux boucles du « 8 » et soyez attentive aux sensations perçues à leur jonction (le périnée), ainsi qu’à l’anus et à l’entrée du vagin.

Comme pour tous les sphincters et les organes creux, le rôle des muscles du vagin est la constriction. Pendant l’orgasme, la constriction ondoyante[5] et rythmique parcourant le yoni y produit des sensations voluptueuses qui se propagent au lingam »

Outre la proposition active d’exercice ce texte nous montre combien c’est à partir de la préparation que l’orgasme s’installe. Préparation physique, mentale et spirituelle.

Mais, plus encore c’est à partir de l’orgasme féminin que s’augmentent et se décrètent les sensations masculines.

Dans le Tantra l’homme n’est pas passif loin de là, mais il perd l’attitude essentiellement active que lui propose la sexualité occidentale.

On peut dire que, dans le Tantra, l’homme entre en contemplation du féminin, au travers de sa partenaire et à partir de cela, au travers du féminin éveillé en lui.

Je pourrais dire ici encore beaucoup de choses concernant le Tantra tant cette philosophie recèle de trésors, de particularités stimulantes pour la pensée et d’enseignements pour notre civilisation occidentale.

Ce qui me paraît important c’est de souligner encore une fois ce que le Tantra propose à la sexualité féminine : une fonction, un but en prise directe avec l’univers et le monde.

Il n’est pas étonnant que les aspects pratiques du Tantra soit utilisés en sexologie, tant comme réponses actives aux dysfonctionnements sexuels masculins que féminins.

Le Tantra est pragmatique, précis et il inscrit la sexualité dans une dimension sacrée, non essentiellement  génitale qui me paraît correspondre, au-delà de la pathologie sexuelle qu’il faut traiter en première intention, à la demande féminine d’un rapport à soi ancré dans la matière et soucieux aussi des étoiles.

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