Joëlle Losfeld : éditrice jusqu’au bout

Joëlle Losfeld, patronne de la maison d'edition éponyme, est une personnalité à part dans le monde de la culture. On lui doit, entre autres, le succès d'Effroyables Jardins, de Michel Quint, qui s'est vendu à un million d'exemplaires. Elle n'en reste pas moins une authentique artisan du livre, qui lit elle-même, chaque semaine, les manuscrits qu'elle reçoit. Avec une franchise singulière, elle nous parle des difficulté de son métier mais aussi des bonheurs qu'il lui procure.

Elle a créé sa maison d'édition en 1991, après avoir travaillé dans celle de son père, Eric Losfeld. menant sa barque avec indépendance, Joëlle Losfeld se donne pour mission de rééditer les oeuvre D'Albert Cossery. Elle évoque ainsi,  avec émotion, la difficulté de rebondir lorsqu'un de ses livres ne fonctionnent pas. Mais aussi la joie lorsqu'elle découvre un nouveau talent, qui lui donne aussiôt l'envie de repartir au combat. Rencontre.

Qu'est ce qui vous rend heureuse dans votre métier d'éditrice ?

La littérature me rend heureuse. Et plus exactement le fait d'avoir choisi d'éditer de la littérature. J'aime aussi l'anonymat du métier. Éditer, c'est un métier de maître d'oeuvre, d'assemblage, de montage. Il y a des gestes que j'aime bien faire et qui sont proches des "petits bonheurs" de l'artisan : choisir la couverture d'un livre, choisir la typo, la mise en page, suivre l'impression. Bref, tout ce qui renvoie à la fabrication d'un livre. Toutes ces choses qui font passer une oeuvre du manuscrit à un livre terminé, au sens noble du terme. Mais ma plus grande source de bonheur c'est la découverte. Quand je découvre un livre formidable, c'est une joie profonde que je ressens. Quand un nouveau livre me plaît et lorsque je pense qu'il va me plaire, je suis littéralement protée par ça !

Quels sont vos petits et grands malheurs ?

Ce qui me rend le plus malheureuse, c'est lorsque je vis une accumulation d'insuccès, plusieurs livres qui ne fonctionnent pas à la suite. C'est dur à vivre, parfois très dur. Ça peut me démoraliser complètement. L'échec répété, cela ne vous met pas seulement dans une position de péril financier pour vous et votre entreprie, mais cela vous interroge, violement, sur la capacité que vous avez ou non à découvrir des talents et les amener au succès. À chaque fois que ça arrive, et ça arrive, c'est pour moi une remise en question totale de mon métier. Quand l'argent ne rentre pas, ça vous renvoie à quelque chose qui peut etre desespérant.

Vous avez connu de grands succès d'édition. Est-ce que vous avez eu, dans ce cas-là, raison contre tout le monde ? 

Oui et non. Prenon le livre de Michel Quint. C'est le plus grand succès que j'ai connu. Michel était un auteur qui vendait très peu. En 1993 et 1997, j'avais déjà publié deux de ses romans à des niveaux de vente peu élevés. Et puis il  revient en 2000 avec Effroyables Jardins, une très belle nouvelle de 64 pages, presque un petit livre, mais difficile à intégrer dans ma collection de romans. Je lui ai demandé d'attendre avant de le faire éditer chez d'autres, lui expliquant que je voulais créer une collection de livres "semi-poche" qui accueillerait facilement Effroyables Jardins. Il a été patient. Et je j'ai donc édité dans la collection Arcanes. Le livre a connu un succès prodigieux : plus d'un million de ventes en France. Dans ce cas précis, je suis alllée au bout du'une idée, celle de vendre une novelle et d'en faire une réussite à la hauteur d'un roman classique. L'autre exemple, c'est pour Le Hamac Rouge, de Jean-Luc Payen. Il avait envoyé son manuscrit à tous les éditeurs et tous l'avaient refusé ! Huit ans plus tard, je rencontre Jean-Luc qui me remet son manuscrit. Je lis d'une traite son roman... et je décide de l'éditer ! Pour une simple raison : c'est un roman formidable. Et les évènements qui ont suivis m'ont donné raison : il a marché. Nous sommes passés à côté du gros succès populaire mais ça a marché.

Pensez-vous, comme beaucoup d'éditeurs, qu'on ne peut pas passer à côté d'un grand talent ?

Si, on le peut. Les éditeurs n'ont pas le don absolu de percevoir un talent.

Au travers de votre expérience, pensez-vous que les choses se font par hasard ou parce qu'elles "doivent" se faire ?

 J'ai l'impression que les choses se font quand il y a une détermination au départ. Il faut de la volonté, une forme d'optimisme. Il faut chercher, être curieux, être à l'écoute. Ensuite, les évènements "viennent" de manière faussement innatendue. Par exemple, les auteurs que j'édite sont très souvent des auteurs qui m'ont envoyé leur manuscrit par la Poste. Je ne suis pas allée les chercher. Mais je sais les attendre. Et lire les manuscrits quand je les reçois, les lire vraiment.

Que signifie pour vous la crise que nous traversons aujourd'hui ?

 Pour moi, elle rabaisse notre métier à celui de marchand de produits. La crise oblige à faire des "produits" qui ressemblent à ceux du voisin. Cela participe à l'appauvrissement de la culture. Je trouve ça affolant, démentiel. On perd du savoir-faire, et des auteurs de qualié restent dans l'ombre.

Que faire alors ?

 Tenir, réagir, lutter ! Garder le cap de l'exigence. Avoir de l'optimisme et de la curiosité pour la découverte. La beauté finit toujours par se montrer. Il suffit d'avoir les yeux bien ouverts.